La marginalité est une pièce clé du puzzle de l'humanité.
La circonscription d'un concept, les limites d'une croyance ou les frontières d'un lieu ne sont pas des lignes que l'on trace avec son opposé. C'est un véritable entre-deux-mondes, un microcosme énigmatique, un passage occulté d'une réalité qui se dévoile aux initiés. La marginalité est une expérience qui se vit dans la chair, au travers d'une quête courageuse et assoiffée de curiosité. Plus l'expérience s'éprouve et plus les enseignements délivrent leurs secrets.
Quelle que soit la nature de l'exploration, elle déconstruit les préjugés, estompe les limites et unifie les antagonismes.
Je vous emmène au-delà des idées préconcues, là où l'audace permet d'explorer et à l'esprit de se défiler parmi les préjugés et la dualité.
Les strip-teaseuses sont des filles en perdition
Comment faire pour les ramener dans le droit chemin ?
Il suffit sans doute de les laisser vivre leur expérience, car en réalité la perdition n'est qu'une étape pour dépasser ses propres illusions.
Ce qui est plus réel que l'idée de la perdition, ce sont les raisons pour lesquelles ces femmes évoluent dans les clubs de strip-tease. J'ai côtoyé, dans ces endroits atypiques, des femmes du monde entier, aux mœurs et cultures différentes. Les contrats de travail s'effectuent pour une durée de deux semaines ou d'un mois renouvelables. On a le choix de rester, de partir et même de revenir. Il y a les habituées et celles qui sont de passage. On y trouve des étudiantes, des pole danseuses professionnelles, des mères, la fille d'à côté… Elles ont en commun leur besoin d'indépendance et de liberté. Certaines s'y retrouvent et mènent des projets pour ensuite passer à autre chose. Elles sont des femmes d'affaires qui gèrent leur carnet d'adresse, travaillent leur image et sélectionnent avec habileté les clubs en fonction des saisons ou des événements qui se déroulent aux alentours. Elles sont à la fois rivales et amies, solidaires et compétitrices. Selon les clubs, il y a une belle camaraderie et une entraide maternelle propre à la femme qui donnent à ces soirées des moments de fou rire et de complicité. Les habituées sont comme des repères dans ces clubs ; elles dominent le jeu et ont généralement les faveurs des clients accoutumés. Elles travaillent en étroite collaboration avec l'équipe du club ; manager, serveurs, DJ, tout est mis en œuvre pour assurer le chiffre d'affaires de la soirée. Elles ont une connaissance assez stupéfiante de la psychologie masculine et certaines paraissent lire en eux comme dans un livre ouvert. Beaucoup ont un fort caractère et enrôlent leur personnage de stripteaseuse avec une main de fer dans un gant de velours. Certaines ne prennent pas ou plus de plaisir à faire ce qu'elles font, mais elles sont déterminées à ''faire leur argent'' à chaque opportunité. C'est un véritable spectacle de chasse à l'homme que je n'ai vu que dans ces clubs. Un jeu de séduction, une machine commerciale redoutable qui dévoile des aspects du pouvoir féminin qui m'étaient jusque-là inconnus au travers de ce prisme. Le monde est encore incapable de laisser la femme incarner son essence profonde, sa force magnétique, sa puissance créatrice, sa sensualité débordante. Dans ces clubs, on touche du doigt quelque chose, mais le contexte financier et la domination masculine posent un voile épais qui ne permet pas à vue d'œil d'en saisir davantage que ce qui est montré.
Certaines stripteaseuses prennent conscience de leur puissance, de leur capacité à se mouvoir parmi le monde des hommes et à en tirer leurs bénéfices. Des véritables leçons de vie pour forger l'avenir. D'autres se laissent happer par les histoires, les humeurs de leurs clients, leur peine de cœur ou encore la quête d'un moment de gloire qui, n'arrivant pas, amenuisent leur estime ou leur confiance.
Certaines stripteaseuses sont écœurées des hommes, immergées depuis trop longtemps dans le jeu, perdent le contact avec d'autres réalités, avec d'autres façons de relationner et de se positionner envers la gent masculine.
Si l'on observe le monde tel qu'il tourne de nos jours, j'ai simplement le sentiment que la strip-teaseuse n'est que le reflet de ce que vivent la plupart femmes du monde. Elles ne paraissent pas davantage en perdition que d'autres et se battent tout autant pour leur indépendance que d'autres. Elles développent des capacités à s'affranchir et à s'assumer, à dépasser le regard d'autrui pour construire leur propre chemin. Elles sont courageuses, dans leurs forces et leur vulnérabilité. Elles sont bosseuses et déterminées. Elles sont poussées par des raisons multiples et variées à faire ce qu'elles font et pour le temps qu'elles passent à le faire. Il n'y a pas de type de stripteaseuse, il y a des femmes curieuses de leur potentiel, stimulées par le besoin de se forger une confiance et une indépendance pour faire évoluer tant bien que mal leur existence.
Le strip-tease, c'est tout sauf de la vertu
Cachez ce sein que je ne saurai voir… !
Le corps dénudé, c'est l'ultime vulnérabilité des être humains. C'est le paradoxe de la nudité qui montre un corps, un être sans apparat, sans couches pour le protéger tout en ramenant l'esprit à l'être dénudé. Comme si la nudité ne pouvait jamais être perçue en tant que telle, emportant l'œil et la conscience dans un mélange de sensations de l'ordre de l'irrationnel et de l'émotif. La nudité pourtant bien réelle ne saurait montrer d'une personne que son enveloppe de chair sans permettre d'en saisir davantage. Cette chair qui se révèle être le contour d'un monde insaisissable, une peau qui cache l'intérieur, un vêtement naturel qui ne dit rien de plus que ce qu'il est. La nudité serait un entre-deux-mondes qui se colore au travers de nos propres perceptions et croyances. Une exploration intime et contrastante au travers de nos facultés rationnelles et instinctives, qui par opposition s'annulent. Il ne resterait alors d'espace que pour le lâcher-prise, l'écoute des émotions et peut-être, l'intermède des pensées.
Voici un article fort intéressant qui vous donnera matière à étudier la question, si cela vous intrigue ; "Selon une étude américaine, une personne qui laisse apparaître des parties de son corps dénudées est automatiquement perçue comme plus à même de ressentir des émotions et de s'y livrer. Et plus elle se vêtit, plus elle donne l'air de savoir se contrôler et de faire des choix rationnels."
Ainsi fut l'expérience que j'en ai faite du strip-tease ; plus je me déshabillais, moins mon corps me définissait. Plus je m'effeuillais, plus je me sentais parée du vêtement de la nudité. Plus je me mouvais entre les lumières et les ombres, plus je jouais avec les perspectives, plus je sentais mon corps se libérer. Tout est sérieux et sans importance, tout est séduction sans promesse, on joue aux adultes et souvent, on finit par en rire. J'ai vite saisi que le jeu était de jouer, danser, se mouvoir, montrer et cacher. Ressentir son corps comme un ultime objet d'art qui dit mille choses et en évoque davantage. Ma nudité était l'objet central de l'événement, le centre de l'attention d'un inconnu qui, envoûté, captif, tentait d'en saisir tous les messages.
Il n'y a de dégradant qu'un acte intime que l'on fait sans âme, sans art et sans plaisir. Tout n'est qu'une question de perception, mais le réel est une question de vécu. Et si le corps nu se sexualise lorsqu'il est mis en scène dans toute sa sensualité, n'est-ce tout simplement pas par nos perceptions et croyances que nous associons la nudité, à tort ou à raison, à la sexualité ? Permettons-nous de revisiter nos à priori et croyances sur ce que les hommes et les femmes devraient montrer, cacher et faire en vertu de la vertu. Savons-nous encore nourrir notre nature profonde et son appétence pour le jeu, la dérision et l'audace ? Laissons-nous encore assez de place à notre imagination et à notre créativité pour se vivre et s'éprouver en totalité en dehors des normes établies ?
La découverte de soi est une initiation à la liberté qui ne saurait se soumettre ni aux conventions ni à la morale. Tous les chemins vers la découverte se valent, à l'instar du strip-tease, et si l'on peut les parcourir à plusieurs, ceci n'en est que meilleur.
Les hommes sont des agresseurs en puissance
Et les femmes des proies sans défense !
Combien de fois ai-je entendu la question, rempli d'appréhensions à propos de l'attitude et du comportement des hommes dans les clubs de strip-tease. Combien de fois ai-je entendu que j'ai certainement dû croiser la route d'hommes agressifs et irrespectueux. Eh bien non, pas davantage que dans la vie courante ! Pas plus qu'en boite de nuit, ou dans le cadre de l'entreprise.
Ils sont en revanche plus décontractés, plus enclins à se confier, à se laisser aller. Ils deviennent l'inconnu d'un soir qui passe un moment avec une femme qu'ils ne reverront peut-être jamais. Certains sont comme des poissons dans l'eau au milieu de toutes ces femmes, certains sont plus réservés et se font plus discrets. Ils ont la liberté de tout regarder et de vivre des fantaisies sans être jugés. C'est l'endroit où il est possible d'accéder aux faveurs des femmes sans entrer dans la lutte ou le rapport de force. Il suffit de demander et de régler la note, un monde presque parfait. Presque… Car même si la strip-teaseuse est là pour faire son chiffre, elle conserve le droit de refuser une prestation ainsi que de s'eclipser de la table du client.
Il y a des goujats et des mal lunés pleins les rues, tout comme il y en a dans les clubs! Ces messieurs ne changent pas de personnalité en rentrant dans un club de strip-tease, ils jouissent simplement d'un pouvoir financier qui leur permet de se divertir et de rêver au contact de femmes qui n'ont pas froid aux yeux. Certains peuvent en abuser bien sûr, mais la strip-teaseuse n'est pas dupe; elle jouera sa comédie pour tirer parti de cette attitude, et soyez certains qu'elle en informera ses consœurs!
Enfin, le strip-tease n'a jamais été pour moi teinté d'un acte agressif. Au contraire, j'avais plutôt l'impression d'être une maîtresse d'école qui apprend la leçon à un élève sage comme une image. Je faisais face à des hommes plutôt calmes, envahis par la douce tension du désir, hypnotisés par le corps en mouvement. Comme écrit dans l'article précédemment cité, ''la nudité n'induit pas que nous regardions l'autre comme un "objet" mais comme un être plus enclin à se laisser aller à ses émotions qu'à penser.'' Ainsi par effet miroir, au travers de mon attitude, c'était ma personnalité en mouvement et la mise en valeur de mon corps qui venait saisir leur attention. Tout se passe dans les regards, parfois par les mots, parfois par le silence, la nudité en devient impressionnante, intrigante, insaisissable. Telle une toile de musée que l'on voudrait observer de plus près, telle un rêve presque réel, ils dégustaient souvent ce moment unique en buvant tranquillement une boisson.
Bien sûr, chaque club a ses règles et chaque pays ses codes de conduites. À Paris et à Londres, il est interdit de toucher la strip-teaseuse, toute comme la strip-teaseuse ne peut toucher le client. Chacun se tient à la règle sous peine d'expulsion ou de licenciement. Il devait y avoir des exceptions et il y en a eu, mais que serait la règle sans exceptions!
Et puis il y eu les clubs en Suisse, où les règles étaient davantage libertaires quant au rapport physique, voir parfois sexuels. Je vous raconterais des épisodes de cette étape, bien la règle tacite du consentement et du partage m'est parue rester la même de partout. Je n'ai pas rencontré, à mon souvenir, de client qui m'ai forcé en quoi que ce soit. Quelque part, ça tombe un peu sous le sens, le plaisir est un échange de réciprocité voir de complicité. Même si il peut se simuler, il n'en reste pas moins un accord, un consentement clairement établi.
Je n'ai donc pas assisté à l'histoire si répandue de l'agresseur et j'ai toujours eu mon mot à dire dans l'affirmation de ma volonté.
Les clichés déforment le réel
Ceci reste ma perception personnelle
Une expérience issue d'un vécu en lien avec ma personnalité, avec ma façon d'aborder les hommes et le strip-tease au travers de l'art.
Je ne prétends pas parler au nom de toutes les strip-teaseuses, ni de dépeindre un comportement masculin générique. Tout est possible, tout le temps et en tout lieu.
Mais on peut, peut-être, attribuer l'événementiel en lien avec ce que l'on croit et ce qui par conséquent, peut advenir. J'ai abordé cette expérience sous un aspect anthropologique, d'abord pour me découvrir et me laisser portée par la découverte. Puis pour m'ouvrir à un monde inconnu, dépasser mes peurs et laisser derrière les préconceptions inscrites malgré moi dans mes schémas de pensée. Je vivais les notions de la nudité, de l'argent, du pouvoir et de la maîtrise de soi sous des aspects si singuliers que mes oeillières ne pouvaient résister.
Je me souviens, lorsque j'avais contacté le Pink Paradise pour collecter des renseignements, j'avais demandé par quel moyen se sentir à l'aise avec la danse topless qui se fait devant le public. Mon interlocutrice m'avait répondu d'un ton facétieux ''Oh ne vous inquiétez pas, on s'y fait vite!'' La décontraction et l'humour m'avaient interloquée tout en s'alignant si justement avec ce que j'avais déjà vécu par mes expériences passées. Dépasser les appréhensions, relâcher la tension et s'ouvrir à l'inconnu, à l'impensable. Quelle sensation merveilleuse!
Les clubs sont un vivier de rencontres inoubliables; je côtoyais des hommes et des femmes de tout style, âge ou statut social. Rien ne pouvait définir le client type d'un club comme j'aurais pu le penser. Rien non plus ne permettait d'établir le portait type de la strip-teaseuse, ni sa morphologie, ni sa personnalité et encore moins les raisons qui l'avaient menées à travailler dans un tel endroits. Mes raisons n'étaient que les miennes et c'est en discutant avec mes collègues que je m'apercevais de l'étendue des clichés érigés à leur égard. De la parisienne à la bulgare, de la brésilienne à la roumaine, il y avait matière à écouter pour comprendre, il n'y avait d'autre voie que celle de l'empathie et du respect pour apprendre.
A bientôt pour la suite des aventures!
Sophie Atlan (SoExotic)
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